miércoles, 4 de octubre de 2017

EL 18 Brumario de Felipe VI .






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La Catalogne, décolonisation ou dénationalisation ?


Par Pierre Singaravélou, Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne — 4 octobre 2017  

 La volonté indépendantiste de la région espagnole marque l’essoufflement de l’Etat-nation et l’appétence des peuples d’un modèle politique plus local.
Dans la crise de la monarchie espagnole, Carles Puigdemont, président de la Généralité de Catalogne, a affirmé à plusieurs reprises que sa région était une «colonie de l’Espagne», et ses partisans ont mobilisé la rhétorique de l’occupation. Le gouvernement madrilène a choisi une forme spécifique de répression judiciaire et policière avec l’arrestation de responsables politiques et le blocage des comptes de la région. En outre, les mots de Mariano Rajoy dimanche - «Il n’y a pas eu de référendum d’autodétermination» - résonnent étonnamment en écho à «L’Algérie, c’est la France», formule assenée par François Mitterrand le 1er décembre 1954, alors que la réalité de la crise algérienne n’était déjà plus contestable.

Tout dans le vocabulaire des protagonistes semble renvoyer aux processus de décolonisation des années 40 et 60. A tel point que, le 11 septembre, le porte-parole du gouvernement, Iñigo Méndez de Vigo, a dû tenter lui-même de «décoloniser» les termes du débat : «La sécession est un droit reconnu dans les années 60 pour les situations coloniales. J’espère que Puigdemont et Junqueras [vice-président du gouvernement de Catalogne] ne considèrent pas que la Catalogne se trouve dans une situation coloniale.»
Machine de guerre

Et pourtant, la question est moins de savoir si la Catalogne se trouve dans une situation coloniale que d’observer un processus de délitement des Etats-nations. C’est sur ce point que l’histoire du fait impérial mérite d’être convoquée. Aux XIIIe et XIVe siècles, ce sont justement les Catalans qui conquièrent les îles Baléares, le royaume de Valence, la Sicile et la Sardaigne, et fondent un vaste empire méditerranéen. Il y a à peine plus d’un siècle, de nombreux entrepreneurs catalans, à l’instar des Corses et des Ecossais dans les Empires français et britannique, ont participé à l’aventure impériale espagnole, notamment à Cuba avec l’illustre Facundo Bacardi, fondateur de la distillerie éponyme.

Ces expériences ultramarines ont-elles favorisé l’émergence de l’indépendantisme dans ces différentes régions européennes ? Quoi qu’il en soit, en 1898, la perte de la très riche île des Caraïbes au profit des Etats-Unis prouve déjà aux yeux des indépendantistes l’affaiblissement de l’Etat central, transformé ensuite par le franquisme en véritable machine de guerre contre la langue et la culture catalanes entre 1939 et 1977.

Toutefois, la position actuelle de la Catalogne dans l’économie espagnole relativise la dimension coloniale de la situation tout autant qu’elle éclaire la force du mouvement indépendantiste. Le PIB par habitant et le taux d’emploi placent encore la Catalogne au sommet de l’économie espagnole, aux côtés de Madrid, du Pays basque et de la Navarre. Les seuls territoires colonisés où le niveau de vie était supérieur à la moyenne métropolitaine - le Canada et l’Australie par rapport à la Grande-Bretagne à partir de la fin du XIXe siècle - n’étaient alors plus des «possessions», mais des partenaires essentiels de la puissance coloniale.

La probable déclaration d’indépendance de la Catalogne, si elle n’a pas grand-chose à voir avec les «autodéterminations» du mitan du XXe siècle, illustre peut-être en revanche l’avènement d’une nouvelle ère postnationale. L’Etat-nation n’aurait été qu’une courte parenthèse dans l’histoire politique de l’humanité, dominée pendant des siècles par les cités-Etats, les royaumes composites et des empires multiculturels. La forme stato-nationale ne s’est imposée en Europe et en Amérique qu’à partir du XIXe siècle, et dans le reste du monde après la Seconde Guerre mondiale. Il faut même attendre 1962 et la perte de l’Algérie pour que la France devienne véritablement un Etat-nation, comme nous le rappelle malicieusement l’historien Frederick Cooper.

Au lendemain des décolonisations, des années 60 au milieu des années 80, les élites politiques européennes ont cru à l’avènement de la fin de l’histoire sous la forme inédite d’un face-à-face plus ou moins négocié entre les Etats-nations et le marché… Mais l’intensification de la mondialisation économique et culturelle, avec son lot de dérégulation, ainsi que la faillite de l’Europe politique ont bouleversé cet équilibre précaire en suscitant un nouveau besoin d’identité collective, de proximité, et de démocratie, réponse aux échecs de l’Etat-nation face au marché global.
Aspiration massive

L’allocution du roi Felipe VI, autant que la réaction disproportionnée du gouvernement Rajoy, montrent que les nations européennes peinent à proposer une perspective politique à leurs citoyens. La question est sans doute moins de fixer de nouvelles frontières que d’influer plus efficacement sur un destin politique commun, mais à une échelle différente.

La question catalane interpelle aujourd’hui tous les Etats-nations européens, qui naguère entendaient imposer leur modèle dans leurs colonies et désormais ont de grandes difficultés à le faire vivre sur leur propre territoire. Trouveront-ils des solutions concrètes pour répondre à l’aspiration massive résumée par la formule forgée en 1972 par le biologiste René Dubos «penser global, agir local» ? La Catalogne indépendante aura peut-être, elle-même, dans quelques années, à affronter les velléités indépendantistes de la comarque semi-autonome du Val d’Aran, de langue occitane…
 



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